Petite histoire de l’espace public

284 197 objets publics

Que racontent les places, les rues, les monuments d’une époque ?

Au travers de l’agora des cités antiques, de la place du Moyen-Âge à celle de la Renaissance, l’espace public a évolué en fonction des lieux, époques et contextes : ce sont des espaces-clés où se jouent à la fois l’économie, la culture et l’identité de la cité.

À travers des passages clés de l’histoire urbaine, nous explorerons les façons dont l’espace public a évolué au cours des siècles.

ARGOS

Les racines de l’agora grecque

Argos aujourd’hui

Argos, fondée au VIIIe siècle av. J.-C, est l’une des premières cités « pólis » en grec, à établir un système politique et social basé sur la citoyenneté et l’autonomie politique. Des villes comme Athènes, Sparte, Corinthe suivront le modèle d’Argos, contribuant ainsi à la naissance de l’idéal démocratique de la Grèce Antique.

L’Académie de Platon, Musée archéologique national de Naples

À l’ombre des temples et des colonnades, les citoyens se réunissaient sur la place de l’agora pour discuter de la justice et des idéaux qui façonnaient leur société. Cette effervescence intellectuelle marqua la naissance des premières écoles philosophiques, où des penseurs comme Socrate, Platon et Aristote enseignaient leurs visions du monde et de la cité. 

Ainsi, l’agora ne fut pas seulement un lieu de transactions matérielles, mais aussi le berceau des idées qui allaient façonner la pensée occidentale.

POMPÉI

Le forum romain

Pompéi, grâce à ses vestiges extrêmement bien conservés, offre un fascinant témoignage de la vie urbaine dans la Rome antique.

La place centrale romaine, le forum, était à l’origine un lieu dédié aux rites religieux et aux procédures de justice de la communauté. Il se transforme peu à peu dans l’ensemble de l’empire Romain à partir de l’époque classique (Ve siècle après J.-C) pour accueillir la fonction politique, et devient alors le lieu de rencontres et d’échanges par excellence.

Certaines pratiques des pompéiens reflètent des parallèles intrigants avec nos sociétés modernes !

Lors de récentes fouilles sur le site de Pompéi, nous avons découvert des thermopoliums, ancêtres des cafés modernes : ces établissements étaient généralement constitués de comptoirs avec des récipients encastrés dans le comptoir lui-même, contenant différents plats chauds ou froids. Ils étaient fréquentés non seulement pour leur commodité mais aussi pour leur ambiance, offrant aux gens l’occasion de se retrouver, de discuter et de partager un repas. 

Les thermopoliums de Pompéi témoignent ainsi d’un mode de vie urbain similaire au nôtre –  la restauration rapide répondait aux besoins de la population active, tout en offrant un lieu d’échange et de connexion sociale.

Les habitants de Pompéi appréciaient également les spectacles au théâtre, les bains publics et les jeux, soulignant l’importance des loisirs et du divertissement dans leur vie quotidienne !

BYZANCE

Une structure urbaine décentralisée

Après le IVe siècle et la christianisation forcée du monde oriental, la fonction politique de l’agora, autrefois au cœur de la vie urbaine, commence à s’éclipser progressivement, parallèlement à une réorganisation de l’espace urbain.


Gustave Bauernfeind, La Porte de la Grande Mosquée des Omeyyades

En raison de la féodalisation de l’Empire et des exigences militaires, Constantinople adopta une structure urbaine plus décentralisée. Contrairement aux cités antiques où les places publiques, telles que l’agora dominaient la vie urbaine, à Byzance, la vie citadine se recentre autour des rues, marquant un changement radical dans l’organisation spatiale de la ville.

La Mésé, l’artère principale de Constantinople, devient le point focal de l’activité économique et commerciale. Bordée de boutiques, de marchés et d’ateliers, elle témoigne de la vitalité économique de la cité et de son rôle central dans les échanges commerciaux de l’Empire.

LE MOYEN-ÂGE

L’émergence de deux espaces publics distincts

Au Moyen Âge, deux espaces publics distincts émergent, chacun jouant un rôle crucial dans la structure du pouvoir : la place et la cour royale. Différant grandement dans leur nature et leur fonction, leur distinction contribue au cloisonnement du pouvoir politique et social.

La place publique était le cœur battant de la vie urbaine médiévale, un lieu ouvert où les citoyens se rencontraient pour le commerce, les échanges économiques, les célébrations publiques, et les affaires politiques locales. C’était un espace démocratique où les citoyens pouvaient exprimer leurs opinions, négocier et participer aux décisions communautaires.

En contraste, la cour royale représentait un espace réservé aux élites et au pouvoir politique. C’était le lieu où le monarque et sa cour exerçaient leur autorité et leur influence. La cour était le théâtre de la grandeur et de la cérémonie, où la noblesse se rassemblait pour des audiences, des banquets et des divertissements somptueux. L’accès à la cour était strictement réglementé, réservé aux nobles, aux dignitaires ecclésiastiques et à ceux qui avaient le privilège d’être proches du pouvoir, renforçant ainsi la hiérarchie sociale et politique prévalant dans la société médiévale.

Place de Sienne / Festivités sur la place par Vincenzo Rustici

LA RENAISSANCE

L’harmonie urbaine

La période de la Renaissance a marqué un retour aux principes architecturaux de l’Antiquité classique, mettant l’accent sur la rationalité, la proportion et la beauté mathématique.

Un exemple emblématique de cette évolution est la création de places comme le Capitole à Rome, sous la supervision de grands artistes de la Renaissance tels que Michel-Ange. La France aura vu l’émergence de places comme la Place des Vosges crée sous le règne d’Henri IV, ou la Place Stanislas à Nancy. En Espagne nous pouvons citer la Plaza Mayor, ou encore la Plaza de la Villa de Madrid.

Place du Capitole à Rome (BnF)
Les escaliers du Capitole (BnF)

Les espaces urbains étaient conçus selon des principes géométriques rigoureux, avec une symétrie parfaite et une mise en valeur des proportions idéales. L’architecture était utilisée comme un moyen de créer des espaces harmonieux et esthétiquement agréables, reflétant ainsi l’idéal de beauté et de perfection qui caractérisait la Renaissance.

La création de ces places symétriques et ordonnées témoigne non seulement du souci esthétique de l’époque, mais aussi de la volonté de rétablir l’ordre et la stabilité dans les villes après des siècles de tumulte et de chaos.

LA PÉRIODE BAROQUE

Grandeur théâtrale

Durant la période baroque, l’architecture et l’urbanisme ont connu une transformation ayant l’objectif de rompre avec les principes de rigueur et de symétrie de la Renaissance, adoptant des formes plus organiques, dynamiques et théâtrales.

Place des Victoires, Paris

Les fontaines, les obélisques et les sculptures monumentales étaient des éléments emblématiques des places baroques, conçus pour impressionner et émouvoir les spectateurs. Ces œuvres d’art étaient souvent chargées de symbolisme religieux ou politique, renforçant le caractère dramatique et spectaculaire de l’espace public baroque. 

Les fontaines, en particulier, étaient des éléments fonctionnels et décoratifs, servant à la fois de sources d’eau et de points focaux visuels dans les places urbaines.

Place Royale, Reims

LA PÉRIODE NÉO-CLASSIQUE

Symboles d’ordre et de modernité urbaine

En réaction contre l’extravagance du Baroque, le Néo-Classicisme a réintroduit les principes de l’Antiquité gréco-romaine. Les places néo-classiques étaient marquées par une symétrie rigoureuse, des colonnades et des éléments architecturaux inspirés des temples antiques.

Place de la Concorde, Paris
L’une des plus anciennes rues de Paris, la rue Saint-Denis

Au début du 19ème siècle, sous l’impulsion de réformes administratives, les noms de rue sont devenus obligatoires dans de nombreuses villes en France. Cette mesure visait à faciliter l’orientation dans les espaces urbains en pleine expansion et à standardiser la dénomination des rues, contribuant ainsi à la modernisation et à la planification des villes.

Parallèlement, cette période a également vu l’installation croissante de statues dans de nombreux espaces publics. Ces sculptures étaient souvent érigées pour commémorer des personnalités historiques, des figures politiques ou des héros nationaux, contribuant ainsi à la création d’un paysage urbain riche en symboles et en références culturelles.

Place Bellecour, Lyon

L’espace public, durant cette période, est devenu un support important pour la transmission de messages et de valeurs. Les monuments, les statues et les aménagements urbains étaient souvent conçus pour véhiculer des idéaux politiques, religieux ou sociaux, et pour renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté ou à une nation

Ainsi, les places et les rues sont devenues des lieux de démonstration du pouvoir et de l’identité collective, où l’architecture et l’urbanisme étaient utilisés comme des outils de communication visuelle et symbolique.

La place Haussmannienne du XIX siècle

Grandeur impériale et hygiénisme

La place Haussmannienne du XIXe siècle incarne une période de transformation urbaine majeure, orchestrée par le préfet Georges-Eugène Haussmann sous le règne de Napoléon III. Cette période, souvent associée à l’hygiénisme et à l’esthétique néoclassique, a vu l’émergence de places emblématiques telles que la Place de l’Étoile (aujourd’hui Place Charles de Gaulle) et la Place de l’Opéra à Paris. Ces places étaient bien plus que de simples espaces publics ; elles étaient le reflet d’une vision politique, sociale et esthétique ambitieuse.

Paris au XIXème siècle

L’hygiénisme prônait l’amélioration des conditions sanitaires et la lutte contre la surpopulation et les épidémies. Il a été au cœur de la rénovation urbaine haussmannienne. 

Les nouvelles places étaient conçues pour favoriser la circulation de l’air et de la lumière, tout en permettant une meilleure gestion des eaux usées et des déchets. Cette préoccupation pour l’hygiène et la salubrité a été intégrée dans la planification et la conception des espaces publics, contribuant à améliorer la qualité de vie des habitants des grandes villes.

Ces places étaient également des symboles de la grandeur et de la puissance de la France impériale. Leur conception monumentale et ordonnée reflétait l’aspiration de Napoléon III à réaffirmer l’autorité de l’État et à impressionner les visiteurs nationaux et étrangers. 

Les larges avenues, les façades uniformes et les monuments imposants étaient autant de manifestations visuelles du pouvoir et de la modernité de la France du XIXe siècle.

Place Charles de Gaulle, Paris

Les Trente Glorieuses et l’urbanisme de dalle

Au cours du XXe siècle, avec l’avènement de l’urbanisme de dalle des Trente Glorieuses, l’espace public a continué à évoluer pour répondre aux besoins changeants de la société moderne.

Les Trente Glorieuses ont été marquées par une forte croissance démographique et urbaine, ainsi que par la montée en puissance de l’automobile. Dans ce contexte, l’urbanisme de dalle visait à créer des ensembles urbains fonctionnels et ordonnés, où les piétons et les véhicules pourraient coexister harmonieusement.

Le Quartier du Vieux-Port à Marseille, réaménagé dans les années 70

Les places urbaines de l’époque des Trente Glorieuses étaient souvent caractérisées par leur grande échelle et leur simplicité architecturale. Contrairement aux places historiques, elles sont généralement dépourvues d’ornements ou de détails ornementaux ou décoratifs, mettant plutôt l’accent sur leur fonctionnalité.

Souvent intégrées dans des ensembles résidentiels plus vastes, elles pourvoient aussi désormais des équipements et des services de proximité. Des aires de jeux pour enfants, des espaces verts et des équipements sportifs étaient fréquemment intégrés dans ces ensembles, reflétant les aspirations d’une société en mutation vers un mode de vie plus axé sur la la qualité de vie et le bien-être individuel.

Les Espaces d’Abraxas, quartier du Pavé Neuf à Noisy-le-Grand

AUJOURD’HUI

Que racontent les espaces publics de notre époque ?

Notre époque se caractérise par de profonds changements culturels survenant dans un contexte d’évolution sociale et technologique. Dans l’espace public, on remarque par exemple la diversification des usages dans les rues, places, parcs, et autres lieux publics : aujourd’hui, nous pouvons faire du sport, manger, consulter ses emails, avoir un rendez-vous professionnel dans l’espace public… Alors que certaines de ces pratiques étaient autrefois plutôt réservées à la sphère privée

Des innovations techniques modifient également le paysage urbain : mobilité à la demande avec le VTC, vélos de location, télésurveillance, télécommunication (téléphones, ordinateurs portables et WIFI), panneaux solaires…

D’autre part, les politiques menées par les villes pour l’environnement, et notamment la lutte contre la suprématie de la voiture changent graduellement le paysage urbain : réaménagement urbain, plantation de voies boisées, routes à une voie, moins de parkings, plus d’espaces pour les piétons et les vélos

Une autre des caractéristiques de l’ère contemporaine est la préoccupation grandissante de la population et des pouvoirs publics pour la santé. De plus en plus, le sujet de la santé de tous (enfants, personnes âgées, personnes à mobilité réduite…) est pris en compte dans les infrastructures publiques et urbaines. Cela se traduit par plus d’accessibilité au sein des espaces, pour les mobiliers, ou encore l’installation d’équipements sportifs, de détente, de propreté…

Ces éléments nouveaux contribuent à changer le visage de nos espaces partagés. Certaines propositions « innovantes » qui en résultent peuvent parfois s’avérer non pertinentes, inutiles, voire dangereuses (lien entre délinquance et aménagement urbain, toxicité du plastique recyclé, interdiction des écrans devant les écoles..)

De quoi nous permettre de penser que l’espace public et la direction urbaine sont aujourd’hui des questions à la fois cruciales pour le bien-être et la santé de la population , mais aussi pour la viabilité de notre planète. L’espace public continue d’être un laboratoire humain et sociétal au sein duquel nous adaptons, testons et rejetons en permanence des solutions.

« Le ralentissement du rythme de vie et la simplification de modes de vie, la moindre dépendance à une société de consommation, un temps social et de bien-être préservés, la sanctuarisation des espaces et espèces menacées sont sans doute les signes d’une recherche d’apaisement à travers de multiples expériences. »

Jardin du Luxembourg, Paris

Chaque époque a apporté sa contribution unique à la façon dont les espaces publics sont conçus, utilisés et perçus. 

De l’agora animée de la Grèce antique aux vastes places néoclassiques du XIXe siècle, en passant par les espaces urbains grandioses du XXe siècle, chaque période reflète les valeurs, les aspirations et les idéaux de sa société. Ces lieux sont devenus le théâtre où se déroulent les événements marquants de l’histoire, des rassemblements politiques aux manifestations culturelles, et ont été le témoin des transformations profondes qui ont façonné nos villes et notre façon de vivre ensemble.

Plus que jamais auparavant, la santé de la population et de nos éco-systèmes sont au coeur du débat. Les enjeux de notre époque sont clairement définis : il s’agit d’aller vers une frugalité environnementale et de permettre la résilience de nos territoires. C’est pourquoi Objets Publics s’engage à travers la conception de mobilier urbain faiblement émissif, à contribuer à dessiner des villes accueillantes, proches, frugales et résilientes.

Découvrir nos mobiliers engagés

Masterfully Handcrafted

for Awesomeness

By Greatives